Sur les traces des Incas

N’ayant au départ que peu d’attente du Nord argentin, je ne pouvais être qu’agréablement surpris par cette région. Et bien figure toi qu’il s’avère même être une de mes destinations favorites du voyage. Ses sols en terre rouge vif, ses cactus gigantesques et ses formations rocheuses te donnent l’impression d’être sur une autre planète. Le seul bémol c’est qu’on entre en pleine saison des pluies. Alors que je longe la Cordillère des Andes au volant de ma Suz, j’aperçois au loin une file de voitures à l’arrêt qui bloquent la route. Je descends jeter un coup d’œil et la voie est complètement inondée. Le plus drôle c’est que par ici les fleuves passent par dessus les routes. Les ponts, ils ne connaissent pas. Alors en saison sèche, aucun problème. Mais à cette période de l’année certaines parcelles se retrouvent sous 1 m de flotte. Et il n’y a plus qu’à attendre. Enfin c’est ce que je pensais. Un mec avec la même voiture que moi s’arrête devant la file. Il observe quelques instants et ne voilà pas qu’il traverse en zigzagant à travers les flots. Déterminé comme jamais, je pars demander aux locaux comment il a fait. On m’explique qu’avec un 4X4 en suivant une certaine trajectoire c’est possible de passer. Je remonte donc dans la Suz, j’étudie la trajectoire et je lance un gros set de techno pour me mettre dans l’ambiance. Doucement, je m’avance vers le fleuve. Il m’a chauffé Pedrolito.Tout le monde me regarde et j’ai grave la pression. Je me lance ! Avec quelques frayeurs, la Suz arrive de l’autre côté. Je crie comme un sauvage en klaxonnant. Les gens qui regardaient au bord de la route m’applaudissent. C’est terminé les gars, y’a plus de gringo maintenant.  


Je suis toujours en route pour Salta, la capitale de la région un peu plus au nord. Pour y arriver ma dernière étape sera la route 68, à travers la Quebrada (vallée) de las Conchas. Pour cette partie du voyage, Maëlle et Marie se joignent à moi. Ce sont deux jeunes françaises rencontrées quelques jours plus tôt dans mon auberge. Conduire par ici c’est comme visiter un musée à ciel ouvert, je n’ai pas d’autres mots pour décrire cette portion d’asphalte. Des montagnes colorées, des lamas et des chèvres qui foulent les terres arides de la vallée. On s’arrête toutes les 10 minutes pour prendre des photos. Les filles sont bien sympas et on se dit qu’on pourrait même faire un autre bout de chemin ensemble.

Salta la linda (la jolie), c’est le surnom donné à cette charmante petite ville qui a su conserver son architecture coloniale. C’est un endroit paisible et un bon point de départ pour de nombreuses excursions. Avec les filles on décide de visiter le village de Cachi pour la journée. Au petit déjeuner je discute avec Giorgio, un italien de 40 ans un peu perché. Quelques minutes plus tard il se retrouve avec nous dans la voiture. C’est une équipe improbable et plutôt hétéroclite qui se met en route. Mais c’est ça la magie du voyage.

Le courant passe super bien entre nous et on décide de poursuivre la route vers le nord tous ensemble. On se rapproche tout doucement de la frontière avec la Bolivie, dans la province de Jujuy. C’est l’Argentine traditionnelle avec ses maisons construites en vieille pierre enduites de gadoue en guise de ciment. Les rue sont poussiéreuses et il ne manque plus que quelques Virevoltants pour te transporter dans le Far West. Mais les cholitas, femmes en tenue traditionnelle, et les concerts de folklore ambulants te rappellent que tu entres ici au cœur de l’ancien empire Inca. 

Notre prochaine étape sera Humahuaca, un village perché à plus de 3100 m. Et les premiers symptômes du mal d’altitude se font ressentir. Je me réveille avec la nausée et ce n’est pas facile d’explorer dans ces conditions. J’achète donc mon premier sachet de feuilles de coca. La coca a plusieurs vertus : énergisante, coupe-faim, elle lutte contre les maux d’altitudes, d’estomac, etc. Et ici c’est une tradition ancestrale que de mastiquer cette plante qui est interdite chez nous. Je fais donc une grosse boule de feuille que je coince au fond de ma bouche. Ça me fait ressembler à un hamster avec une joue grosse comme une balles de tennis. Et dans la rue je fais un signe de tête aux anciens que je croise pour leur montrer que je suis des leurs. Et ouais frère.

La région regorge de pépites. On parti visiter El Hornocal, une montagne aux 14 couleurs à 4716 m d’altitude. Et aussi le village de Tilcara et les vestiges de son site Inca. Après quelques jours les filles nous quittent et prennent la route pour la Bolivie. Avec Giorgio on se dirige vers le nord du Chili et le désert d’Atacama. Pour cela il nous faut traverser les Andes. Et avec les pluies torrentielles des jours passés plusieurs postes de frontière sont fermés. Ça s’avère être aussi splendide que compliqué. Pour traverser il nous faudra au final 2 jours de voyage, une nuit dans un village perdu dans la Cordillère et plusieurs passages de cols à 5000 m. Mais ce sont les plus belles routes que j’ai eu la chance de fouler jusqu’à présent. On est littéralement seul à sillonner ces hauts plateaux andins, entre des troupeaux de lamas et quelques volcans enneigés culminant à plus de 6000 m d’altitude. C’est là que la voiture prend tout son sens. 

Le voyage c’est aussi une part de malchance. Atacama est le désert le plus aride du monde. Et à notre arrivée la zone est inondée et en alerte rouge. Trois personnes sont décédées à cause des intempéries et tous les sites touristiques sont fermés. Il n’avait pas plu comme cela depuis 45 ans. Super.

Après quelques jours sans accalmi (et donc sans rien faire), Giorgio prend un bus pour la Bolivie lui aussi. On se sépare car je dois aller chercher une amie à l’aéroport. Vous vous souvenez de Belén ? Ma petite chilienne rencontrée au début du voyage à Santiago me rejoint pour deux semaines de roadtrip. On est resté en contact pendant tout ce temps et on va partir à la découverte de la Bolivie ensemble. Je la récupère à l’aéroport de Calama au Chili et c’est comme si on ne s’était jamais quitté. On se met en route pour les hauts plateaux boliviens, de l’autre côté de la frontière. En chemin je reçois un appel de Giorgio, il a loupé son bus à Atacama. J’en discute avec Belén et nous retournons chercher l’Italien pour traverser en Bolivie avec lui. Et voilà une nouvelle équipe qui se forme.

Altiplano signifie « plaine d’altitude » en espagnol. Située au cœur de la Cordillère des Andes c’est la plus haute région habitée après le plateau tibétain. Pour s’aventurer sur cette zone en solitaire il faut pas mal d’inconscience ou une sacrée paire de couilles. Je te laisse deviner ce qui me revient. Toutes les agences de la région nous ont clairement dit qu’il fallait y aller en tour organisé. Et que c’était trop dangereux autrement. J’en ai conclu qu’encore une fois ils essayaient de nous vendre leur service. Mais la raison en est tout autre. Ces plaines sont situées entre 4000 et 5000 m d’altitude, il y a 300 km jusqu’à Uyuni et aucune route tracée. Ce sont des petits chemins de terre au milieu des montagnes et il y est facile de se perdre. Seulement ça, on l’a compris une fois qu’on y était. Heureusement la météo est parfaite et c’est tellement beau qu’on en oublie vite l’inquiétante immensité des lieux. Des lagunes de couleurs blanches et vertes, des chemins de terre rouge à travers des cols enneigés et des eaux thermales au milieu de troupeaux de lamas. Que dire de plus ? C’est juste la route la plus sauvage que j’ai prise jusqu’à présent. 

Deux jours plus tard nous arrivons à Uyuni, petite bourgade connue pour abriter le plus grand désert de sel au monde : le fameux Salar d’Uyuni. En saison des pluies son sol ne peut absorber les quelques centimètres de précipitations tombés et une fine couche d’eau reste en suspend sur le désert. Ce qui te donne le plus grand miroir d’eau au monde. Une superficie de 11 000 km2 dans une atmosphère surréaliste. On déplie table et chaises au milieu de cette étendue pour y pique-niquer. Les nuages et les couleurs se reflètent différemment en fonction de la lumière du soleil et des points d’observation. Tu peux y passer la journée à contempler des paysages mouvants. Et le coucher de soleil est juste … comment te dire?

Quelle claque la Bolivie ! Des paysages époustouflants et un dépaysement brutal. C’est un pays peu développé qui possède une culture très forte et des populations indigènes très nombreuses. On a l’impression que le tourisme y est apparu comme un pavé lancé dans la marre. Que les habitants n’étaient pas vraiment prêts. Du coup les services sont peu développés et les habitants peu enclins à accueillir les touristes. Mais remettons l’histoire dans son contexte. Après que l’empire Inca ait été défait par les Espagnols en 1538, s’en suivent 3 siècles de colonisation où les ressources du pays vont être exploitées par les colons. La Bolivie proclame son indépendance en 1825 suite à de nombreuses guerres qui ont ravagé le pays. L’économie est essoufflée et en retard par rapport à celles d’autres civilisations sud-américaines. Donc non, les occidentaux qui débarquent dans ce pays ne sont pas accueillis les bras ouverts. Il m’aura fallu du temps pour comprendre cela mais c’est légitime. Et c’est ce qui fait la beauté de ce pays si différent et si mystérieux. 

Avec Belén et Giorgio on poursuit notre route jusqu’à Potosí, une jolie ville coloniale qui a eu son heure de gloire grâce à la mine d’argent qu’elle abrite. Cette ville se situe à 4070 m d’altitude. Va essayer de dormir la nuit dans ces conditions. Tu te réveilles toutes les heures avec le souffle coupé et le rythme cardiaque d’un mec qui vient de finir un 100 m. Giorgio reprend la route en solitaire et on se donne rendez-vous à La Paz dans une semaine. Belén et moi partons ensuite vers la capitale Sucre, la ville de Cochabamba et le parc national Torotoro. Ce dernier s’avère être le coup de cœur du voyage. Peu touristique car très difficile d’accès (5h de route de montagne en mauvais état), c’est un parc naturel situé entre 1900 et 4000 m d’altitude qui regorge de trésors géologiques et de paysages somptueux. Et comme je te le disais il faut le mériter. À l’aller je crève un pneu et je change ma première roue du voyage. Le trajet s’allonge un peu mais on arrive finalement juste avant la tombée de la nuit. On y passe deux jours à faire de jolies randonnées et à profiter du paisible petit village à l’entrée du parc. 

Quatre années que je suis célibataire et je vis ces deux semaines de voyage avec Belén comme si on avait toujours été ensemble. Et c’est le pied. Ça me rappelle les bons côtés oubliés de la vie de couple. La petite a son vol retour de La Paz dans deux jours et il nous faut reprendre la route vers le nord. Au total nous aurons besoin d’une bonne journée de voyage pour y arriver. La Paz est la capitale (administrative) la plus haute du monde et c’est aussi le plus grand chaos urbain jamais observé. Comment ont-ils pu construire une telle ville dans un canyon encaissé entre 3200 et 4000 m d’altitude ? Une centaine de pics enneigés à plus de 5000 m entourent la ville, ce qui la place dans un des cadres naturels les plus beaux du monde. Et ici, les pauvres vivent en hauteur et les riches en bas. 

C’est là que je prends Belén dans mes bras pour la dernière fois. On ne sait pas quand est-ce qu’on va se revoir et comme toute séparation c’est assez douloureux. Ce soir, je suis seul dans ma chambre d’hôtel. Et je pense à mon père lorsqu’il faisait l’armée à Djibouti. Il avait envoyé cette lettre à ma grand-mère où il lui disait qu’il avait le cafard. Ma grand-mère n’avait pas compris l’expression et lui avait envoyé par la poste une bombe anti-cafards. Pour qu’il puisse enfin dormir tranquille. Moi aussi, j’aimerais pouvoir lui écrire ce soir. Et qu’elle m’envoie cette foutue bombe. 

Une réflexion sur “Sur les traces des Incas

  1. Gééénial ! Tes photos sont tout simplement magnifiques , elles me rappellent mon périple, quelques années plus tôt,avec ces couleurs,ces paysages et ce ressenti au milieu de cette immensité !
    Pour ma mémoire, un Gd merci !

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