À quoi ça ressemble la Patagonie? J’ai repris la route et c’est la question que je me pose au volant de ma Suz. Le guide du routard me dit qu’il y a un habitant au kilomètre carré. Finie la civilisation, place à la vie sauvage, la vraie! J’ai encore mon jean (ultra) slim sur les fesses et ma paire de New Balance aux pieds. Il va me falloir autre chose pour grimper en montagne et crapaüter avec les lamas.
Dans l’article précédent j’expliquais pourquoi changer mes plans et descendre en Patagonie par l’Argentine, pour remonter ensuite par le Chili (voir aussi itinéraire initial). Au départ de Puerto Varas au Chili, je lance donc ma nouvelle playlist et je foule l’asphalte jusqu’aux pieds des Andes. Voici un petit extrait pour te mettre dans l’ambiance:
Au poste de frontière chilien j’attends deux heures pour obtenir le tampon sur mon passeport qui me permet de quitter le pays. Je suis le dernier à passer et ils ferment la frontière derrière moi. Il est 21h, la nuit tombe et je traverse le no man’s land au milieu des Andes sur 20 km. En arrivant au poste argentin je dois refaire les même démarches mais pour entrer dans le pays cette fois-ci. C’est quand même plus simple l’Union Européenne …
Ma première étape sera San Carlos de Bariloche. J’y arrive à minuit complètement épuisé. Ici, on dirait un petit village de Suisse avec des chalets aux poutres apparentes construits au bord du lac Nahuel Huapi. La ville est même réputée pour son chocolat, et c’est aussi très cher, comme chez nos voisins européens. J’y fais une étape seulement pour m’équiper : chaussures, vêtements de randonnée et un passage à l’hôpital pour un rappel de vaccin. Je reprends ensuite la mythique Ruta 40 pour rejoindre El Boslón, une centaine de kilomètres plus au sud.
Ahhh El Bolsón, petite ville aux pieds des Andes réputée pour son marché artisanal et sa communauté hippie. Je me retrouve à la Casa de Odile, une auberge de jeunesse tenue par Marcel, un allemand originaire de Cologne qui est expatrié depuis 15 ans. Il me dit qu’il n’est pas autorisé à revenir au pays et que « c’est compliqué ». Et bah alors Marcel, qu’est-ce que t’as fait ?
L’auberge est très bien tenue, c’est une vieille bâtisse en bois avec un grand jardin au fond duquel se trouve un bar près du potager. Je m’y installe pour commander à manger. Tout un groupe de voyageurs est déjà sur place et échange sur les randonnées de la journée. Parmi eux j’aperçois une tête qui m’est familière. C’est Rick, un hollandais rencontré à Pucón au Chili dix jours plus tôt. On s’était écrit la veille pour prendre des nouvelles l’un de l’autre et sans se concerter, on se retrouve dans la même auberge quelques 1000 kilomètres plus au sud.
Un groupe local de jazz manouche vient taquiner la guitare et anime un peu la soirée. La IPA (type de bière qu’on retrouve beaucoup en Argentine) artisanale et brassée sur place coule à flots. Avec Rick on se dit que ce n’est pas un hasard de se retrouver ici et qu’il faut faire un bout de chemin ensemble. Il a une tente pour camper, j’ai une voiture. Il a de l’expérience en montagne, j’ai un bon sens de l’orientation. Il est médecin, je suis sans emploi. Quelle équipe qui se prépare!
Les jours suivants la météo n’est clairement pas favorable, je m’installe donc dans le salon de l’auberge. On y fait des grands feux de cheminée et les voyageurs s’installent autour pour boire du maté et bavarder. Le maté est une boisson traditionnelle sud-américaine qui se consomme beaucoup en Argentine et en Uruguay. C’est à base d’herbes qu’on fait infuser en versant par dessus une eau à 70-80° C (attention les argentins ne rigolent pas avec la température de l’eau). C’est amer mais très bon, et quand c’est bien préparé, très bénéfique pour la santé.

Mais surtout, un maté ça se partage!
L’ami Rick avait déjà réservé son vol pour aller à El Chaltén, 1300 kilomètres plus au sud. On décide donc de s’y retrouver d’ici deux jours. Cela me laisse un peu de temps pour descendre avec la Suz. Et d’après ce que j’ai entendu, il n’y a pas grand chose à voir sur cette portion de la route 40. Ce qui veut dire deux belles journées à manger de l’asphalte et rien d’autre. Damned.
La Ruta 40 ou RN 40 c’est un peu la Route 66 d’Argentine. Elle relie le pays du nord au sud en longeant la Cordillère des Andes sur environ 5000 km. Et elle culmine presque à 5000 m d’altitude par endroit ! Et ouais ma gueule.
Trois jours après mon arrivée ici, je reprends la route vers le sud. En allant faire le plein d’essence, je vois un couple d’auto-stoppeurs à la station. La fille, une blonde un peu trop maquillée, a une énorme valise. Je ne dis pas que j’ai une gueule de mec du coin, mais eux, ce sont vraiment des touristes. Ils m’ont l’air en galère et je décide de les prendre. Lui est irlandais et elle polonaise. Ça fait un an qu’ils sont sur la route. On fait 200 km ensemble avant que je ne les dépose à un croisement. Une belle rencontre qui aide aussi à faire passer le temps.






Des plaines immenses et désertiques avec une route à perte de vue. Quelques guanacos (lamas), lapins, renards, autruches et moutons. Voilà ce qui anime mes journées. De quoi se sentir un peu seul et tout petit. Il m’arrive même sur une portion de plus de 300 km, de ne pas croiser une seule voiture ou âme qui vive. Je prie pour que la Suz tienne le coup. Et pour tout te dire, c’est la première fois du voyage que j’angoisse un peu. Je vois la jauge du réservoir d’essence qui diminue et j’ai pas envie de finir mes jours dans le désert à bouffer du cactus.
Après une nuit étape et deux jours de route j’arrive enfin à El Chaltén. Ce village est le camp de base pour faire l’ascension du Fitz Roy, une des plus belles montagnes de Patagonie. Rick m’attend dans une auberge, il vient de faire l’ascension ce jour car la météo était parfaite. Et effectivement le temps est très capricieux ici, comme dans toute la région. Donc il faut saisir les bonnes occasions. Je regarde la météo pour le lendemain, et à partir de 10h du matin ça se couvre avec des rafales de vent allant jusqu’à 85 km/h. Rick me dit qu’avec un bon rythme en 3h tu peux atteindre le sommet. Ça ne me laisse pas vraiment le choix, je mets le réveil pour le lendemain à 5h30 pour commencer à marcher vers 6h et espérer avoir une vue dégagée en haut.
5h30 BIM ! Ça pique, surtout pour s’envoyer 22 km de marche et 900 m de dénivelé. Un petit-déjeuner de champion et c’est parti, je gare la Suz en bas du sentier et j’entame l’ascension. Deux américains se joignent à moi sur le chemin, ils ont vu les mêmes prévisions météorologiques que moi, ça me rassure un peu. On se motive les uns et les autres pour grimper.
El Chaltén signifie la « montage qui fume » en Tehuelche. Ce nom a été donné par les indiens habitant la région autrefois pour faire allusion aux nuages qui sont fréquemment accrochés aux sommets.
Quand on atteint le sommet, vers 9h, ça ne loupe pas. Un gros nuage sur la pointe du Fitz Roy !






La vue est incroyable, je reste 1h à contempler le panorama. Et comme prévu, vers 10H ça se couvre et le vent commence à souffler. Et ça souffle fort … Vers 13h je suis de retour au village.
Le lendemain on reprend la route avec Rick. Notre roadtrip ensemble commence ici. Direction El Calafate pour aller voir le glacier Perito Moreno. Un monstre de 30 km de long sur 5 de large, un peu près la taille de Buenos Aires avec sa banlieue. Et il dépasse de 60 m de la surface de l’eau par endroit. Le glacier est en mouvement constant et tu vois des gros blocs de glace se détacher et tomber dans le lac. Vraiment impressionnant.
Le glacier est situé dans le parc national Los Glaciares qui offre aussi de belles possibilités de randonnée. Le lendemain on part sur le sentier de Los Cristales pour une balade de 4h avec un bon kilomètre de dénivelé. Ça monte fort mais encore une fois la vue au sommet te fait vite oublier les courbatures.
Première grosse impression de la Patagonie. On en prend plein les yeux et je me découvre même à apprécier la randonnée. Il faut dire qu’ici si tu ne pars pas à l’assaut des montagnes tu passes à côté de pas mal de choses. Et Rick me motive à faire des ascensions que je ne ferais jamais tout seul. On s’est bien trouvé tous les deux. Il vient de Maastricht, il a 27 ans et même si on est différent le courant passe à merveille.








On arrive tout doucement à la pointe sud de la Patagonie. L’Argentine possède la plus grande partie de la région en terme de superficie, mais le Chili n’a clairement rien à lui envier. Accolé à l’océan Pacifique qui rend le climat plus humide, l’autre côté des Andes est plus verdoyant et compte lui aussi un grand nombres de merveille de la nature.
Pour descendre plus bas, deux options s’offrent à nous : la Terre de feu côté argentin ou la région Magallanes côté chilien. Ce qui va faire pencher la balance, c’est l’arrivée imminente de mes potes de Munich. Leslie, Mylène et Alex sont en voyage au Chili pour 3 semaines et on s’est coordonné pour se retrouver à Punta Arenas, plus au sud. J’en parle à Rick et il est d’accord pour passer quelques jours avec nous. C’est donc comme cela, qu’à plus de 13 000 km de la capitale de Bavière, je vais retrouver mes chers copains quittés quelques mois plus tôt, au pays des pingouins.
Trois mois déjà que je suis sur la route en solitaire et je suis sur-excité à l’idée de les retrouver. Je passe les récupérer à l’aéroport le 12 novembre au matin et avec ma petite Leslie on se saute littéralement dessus. On charge les affaires dans la Suz, on passe récupérer l’ami Rick et on part ensemble voir le Faro San Isidro, le phare le plus au sud du pays. Une petite heure de route suivie de 8 km de marche sur la plage. C’est complètement sauvage et il n’y a personne. En fin de journée le soleil est bas et fait ressortir les couleurs. Imagine sur ta droite une forêt dense en bordure de plage. Sur ta gauche l’océan avec au loin des montagnes aux sommets enneigées. On arrive au phare et tout le monde s’arrête de parler. Ce lieu a quelque chose de magique et on y reste quelque temps pour contempler l’océan.
Les jours suivants on fait une excursion sur les îles Magdalena et Marta pour y voir respectivement des colonies de manchots de Magellan et des lions de mer.
Une des autres attractions de la région c’est le parc national Torres del Paine. Des randonnées à la journée mais aussi deux circuits mythiques : le W en 4 jours et le O en 7 jours. Ces noms donnés se référent à la forme que prend l’itinéraire dans le parc. Avec Rick on veut faire le W mais le parc est victime de son succès puisque tous les campings et refuges sont pleins. Les munichois partent y faire des randonnées à la journée pendant que nous essayons de réserver notre trekking. L’unique chance d’y arriver est qu’il y ait une annulation. Rick actualise la page web du site plusieurs fois par jour mais en vain.









Le voyage de Leslie, Mylène et Alex touche à sa fin. C’est avec le cœur un peu lourd que je les dépose à la gare routière. Ils prennent un bus jusqu’à l’aéroport pour retourner à Santiago. Avec Rick nous décidons de ne pas perdre plus de temps ici et de prendre la route pour la Terre de feu. Il restera alors un mince espoir de faire le fameux trek W en remontant par le Chili. En attendant, à nous El fin del mundo et sa capitale Ushuaia!
Quelle belle aventure !
Et en tant que maîtresse je tiens à te féliciter pour la belle prose et surtout cette orthographe impeccable ! Bravo et bon courage pour les futures expéditions , un vrai globe trotter ! Bientôt il te faudra driver ta bande thionvillloise qui commence tout doucement à compléter son sac à dos , pas d effet de style mais du vêtement confortable de grands randonneurs …. j aimerai être une petite souris pour voir ces citadins perdus au milieu de nulle part, loin de leur confort habituel 😂😂😂
Gros bisous
Chantal
J’aimeAimé par 1 personne
j’adore ton récit ! succinct,bien écrit et sans faute!
rien a voir avec ton père . T’aime bonhomme
J’aimeAimé par 1 personne
Je trouve ça complètement dingue mais c est juste magnifique!
Bonne route!
J’aimeAimé par 1 personne